Salariés, employeurs : attention, vous êtes sur écoute…
La preuve déloyale est-elle permise ?
I. AVANT ? NON
II. MAINTENANT ? OUI…
Un employeur avait recueilli des enregistrements audios des propos échangés au cours de deux entretiens avec le salarié, puis licencié le salarié pour faute grave, en raison de son insubordination, en se fondant sur ces enregistrements.
La Cour de cassation a affirmé que l’illicéité ou la déloyauté d’une preuve ne conduisait pas nécessairement à l’écarter et fixé la façon dont le juge du fond peut désormais accueillir ce type de preuve.
III. … MAIS PAS TOUJOURS !
Cette preuve n’est toutefois pas toujours recevable.
Le 22 décembre 2023, la Cour de cassation a en effet limité la portée de sa propre décision en instaurant un critère de nécessité de production de la preuve :
« Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Il convient donc de bien veiller au respect des exigences nouvellement posées.
Seules les jurisprudences à venir viendront étayer les cas où la preuve sera reconnue indispensable et proportionnée.
Par deux arrêts récents, la Cour de cassation a commencé à préciser sa position :
La Cour de cassation a établi que la violation de conversations privées n’était pas admise pour établir une preuve. La protection du droit à la vie privée a ici primé sur le droit à la preuve.
⦾ Les faits : Un salarié avait laissé une conversation Facebook ouverte, dans laquelle il faisait état de propos injurieux à l’encontre de son remplaçant. Ce dernier, ayant récupéré l’ordinateur, a transféré ces discussions à l’employeur, qui s’est appuyé sur celles-ci pour licencier le premier salarié.
⦾ Selon la Cour de cassation : « (…) une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique ne peut constituer un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail (…) ». Le licenciement, fondé sur une preuve déloyale, a donc été invalidé. (Cass, Ass. Plén., 22 déc. 2023, n°21-11.330).
La Cour de cassation a refusé la production d’enregistrements audios, estimant que suffisamment d’éléments étaient apportés par les parties et a ainsi écarté ces enregistrements en ce qu’ils constituaient une preuve déloyale.
⦾ Les faits : Un salarié a apporté aux débats des enregistrements audios de ses échanges avec les représentants élus du personnel, en vue de démontrer son harcèlement moral.
⦾ Selon la Cour de cassation : Le médecin du travail ainsi que l’inspecteur du travail avaient été associés à l’enquête et à l’établissement de son constat, en sus d’autres éléments de preuve, ce qui suffisait à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral. Ainsi, la production des audios n’était pas indispensable aux débats qui devaient, de ce fait, être écartés (Cass. soc. 17 janv. 2024 n° 22-17.474).
Ces deux arrêts nous aiguillent sur l’éventuelle admission d’une preuve.
Il n’empêche que la décision de l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 risque d’inciter les deux parties à se constituer des preuves de nature déloyale ou illicite, dans l’éventualité d’un futur contentieux …
Il appartient donc à chacun de rester vigilant, tant au cours de l’exécution du contrat de travail qu’après sa rupture.
Ass. Plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 et n°21-11.330