Existe-t-il encore une frontière entre vie personnelle et vie professionnelle ? 

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Les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle vous paraissent floues ? Cilaos Avocats décortique pour vous la jurisprudence récente en la matière.

La protection de la vie personnelle du salarié dans le monde du travail se fonde sur :

« Chacun a droit au respect de sa vie privée »

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Du côté de l’entreprise, c’est la protection de ses intérêts légitimes qui est en jeu. Dans ce cadre, un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il :

  • Se rattache à la vie professionnelle (incarcération du salarié, perte du permis de conduire, condamnation pénale, etc.) ;

Si ces dernières années la Cour de cassation semblait plus encline à favoriser la protection de la vie personnelle du salarié, sa récente jurisprudence sur la production d’enregistrements privés peut semer le trouble.

A l’heure actuelle, comment s’articulent donc le droit au respect de la vie personnelle du salarié et les intérêts légitimes de l’entreprise ?

Deux arrêts apportent des éléments de réponse.

Un arrêt du 23 octobre 2024

Dans les faits, un manager sportif avait été licencié pour faute grave en mars 2020, après avoir diffusé sur Instagram une séance d’entraînement effectuée sur un de ses jours de repos, dans une salle de sport de sa ville (de taille moyenne), concurrente à celle de son employeur, et en accompagnant sa publication de commentaires élogieux sur cette salle.

Le Conseil de prud’hommes d’Evreux avait requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel de Rouen avait ensuite infirmé le jugement, considérant que la faute grave était bien caractérisée, la publication ayant notamment conduit des abonnés de la sport, partie à l’instance, à résilier leur abonnement.

La réponse de la Cour de cassation : ces faits relevaient de la vie personnelle du salarié et ne pouvaient donc pas constituer une méconnaissance de son obligation de loyauté découlant de son contrat de travail. Il reviendra à la Cour d’appel de Caen de statuer à nouveau sur l’affaire, après renvoi.

Dans les faits, un manager avait été licencié pour faute lourde, notamment en raison de ses propos critiques et dénigrants visant la société et ses dirigeants, tenus lors d’échanges électroniques et via des SMS envoyés à trois de ses collègues, depuis son téléphone portable professionnel.

La réponse de la Cour de cassation : ces faits ne relevaient pas de la vie personnelle du salarié car les messages litigieux étaient présumés de caractère professionnel, compte tenu de leur envoi par un téléphone professionnel, peu important que les échanges ne fussent pas destinés à être rendus publiques. En outre, l’emploi de termes injurieux et excessifs caractérisait un abus dans l’exercice de la liberté d’expression, peu important, là encore, le caractère restreint de la diffusion de ces propos. Dès lors, la Cour d’appel de Paris était bien fondée à juger de l’existence d’un licenciement pour faute grave.

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La lecture comparée de ces décisions peut laisser perplexe … Il semble tantôt qu’un motif inhérent à la vie personnelle du salarié ne suffise pas à justifier un licenciement, et tantôt qu’un tel motif justifie à lui seul un licenciement.

La frontière se trouverait-elle dans l’existence ou non d’un dénigrement « direct » de son employeur, qui se serait produit dans la sphère personnelle mais dont l’employeur aurait été ensuite informé ?

En d’autres termes, si le manager sportif n’avait pas seulement fait l’éloge de la salle de sport concurrente à celle de son employeur, mais avait ouvertement dénigré ce dernier, la Cour de cassation n’aurait-elle pas cette fois considéré que le salarié avait manqué à son obligation de loyauté ?

Il est permis de le penser, en tout cas jusqu’à une prochaine décision de la Cour de cassation qui éclaircirait ce point !

Plus encore, on pourrait même espérer une définition jurisprudentielle des contours du droit au respect de la vie privée : à l’heure de l’influence grandissante des réseaux sociaux et du florissement de la liberté d’expression, il semble primordial de rendre toute son importance à l’obligation de loyauté dans le contrat de travail.

Cass. soc, 11 décembre 2024, n°23-20.716

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