Quand l’ancienneté exemplaire n’empêche plus le licenciement pour faute grave

LA FAUTE GRAVE
La faute grave, notion presque inconnue du Code du travail, est pourtant au cœur de l’attention de la Cour de cassation.
Selon la Haute juridiction, la faute grave est :
1. Un fait (ou un ensemble de faits) imputables personnellement au salarié.
(Cass. soc., 23 fév. 2005, n°02-46.271)
2. Qui constitue une violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise.
(Cass. soc., 25 avr. 1990, n°87-45.275)
3. Et qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
(Cass. soc., 27 sept. 2007, n°06-43.867)
Elle permet à l’employeur de rompre le contrat de travail du salarié de manière anticipée, sans avoir à lui verser son indemnité de licenciement ni son indemnité de préavis. (Article L. 1234-5 du Code du travail)
Mais l’invocation de cette faute n’est pas exempte d’incertitude : s’il existe en effet trois critères précis pour caractériser la faute grave, les juges se prononcent en prenant également en considération les circonstances de chaque espèce.
Dès lors, certains éléments de contexte tels que l’ancienneté, l’âge ou les missions du salarié peuvent influencer la reconnaissance de ce type de faute.
L’ « indulgence », un temps accordée aux salariés justifiant d’une longue ancienneté dans l’entreprise, ne semble toutefois plus systématique …
Cour de cassation, Chambre sociale — 11 septembre 2024 — n° 22-13.532 et 22-13.531
Dans ces deux affaires, deux salariés d’une CPAM, de 39 ans d’ancienneté pour l’un et de 36 ans pour l’autre, avaient respectivement transmis à des tiers, sans raison valable, l’attestation de salaire d’un joueur de rugby professionnel et les données médicales d’un ministre en exercice, auxquels ils avaient eu accès dans le cadre de leurs fonctions.
- Pour justifier leur licenciement, la CPAM avait soutenu que la divulgation de ces données confidentielles constituait une faute grave, indépendamment de l’ancienneté et du passé disciplinaire des salariés.
- Les salariés, quant à eux, contestaient la gravité de la faute, invoquant leur longue carrière sans incident disciplinaire.
La cour d’appel, bien qu’ayant constaté que les salariés avaient violé le secret professionnel, a jugé que leur licenciement ne reposait ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse de licenciement. Pour ce faire, la cour faisait valoir que les salariés cumulaient respectivement 36 ans et 39 années d’ancienneté, le tout sans passé disciplinaire.
La Cour de cassation a néanmoins censuré cette analyse, en considérant que la divulgation de données confidentielles à un tiers, en violation de l’obligation de secret professionnel, constituait une faute grave de nature à rendre impossible le maintien des salariés dans l’entreprise, et ce quels qu’aient pu être le passé disciplinaire et l’ancienneté de ces derniers.
Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation sanctionne la violation du secret professionnel par un licenciement pour faute grave. Une telle faute avait déjà été retenue à l’encontre d’un cadre administratif qui avait divulgué le salaire de ses collègues(Cass. soc., 22 nov. 2017, n° 16-24.069).
Est en revanche particulièrement notable le refus manifeste de la Cour de cassation de juger que la grande ancienneté ou l’absence de passif disciplinaire pourraient constituer des éléments de nature à atténuer la gravité de la faute reprochée à un salarié.
En somme, face à une telle violation du secret professionnel, peu importe désormais le contexte personnel du salarié, auteur du manquement …
A ceci près qu’en l’espèce, la particulière notoriété des victimes pourrait peut-être expliquer la sévérité de la Cour de cassation : le curseur des juges serait-il alors davantage axé sur le préjudice subi par les victimes, que sur le profil du salarié ? Ou l’ancienneté pourrait-elle devenir, au contraire, une circonstance aggravante de la faute commise, une certaine exemplarité pouvant être attendue des salariés concernés ?
L’étude des prochaines jurisprudences rendues en la matière nous le dira !
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